Arrêtés anti-burkini et conséquences inattendues

« One of the great mistakes is to judge policies and programs by their intentions rather than their results. »
— Milton Friedman

La première chose que m’inspire les arrêtés « anti-burkini » dans les Alpes-Maritimes, c’est que ce genre de loi est inapplicable. Tenez par exemple : pour reprendre les termes de l’arrêté cannois, « l’accès aux plages et à la baignade est interdit […] à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité » (je vous passe le couplet hygiène et sécurité). Qu’est-ce qu’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ? En l’absence de définition légale claire et précise, comment les policiers de la baie des Anges sont-ils supposés distinguer ce qui relève d’une amende de 38 euros ou pas ?

Évidemment, dans le contexte, c’est le fameux burkini qui est visé. Il est dès lors très facile aux agents municipaux de verbaliser quiconque se présente sur une plage cannoise avec un des vêtements de plage créés par madame Zanetti. Sauf qu’à long terme — et le long terme commence dès la saison prochaine — vous pouvez parier votre chemise et votre caleçon qu’on va voir fleurir toutes sortes de pseudo-burkinis qui vont rendre l’application de ce genre d’arrêtés absolument cauchemardesque.

Rien n’est plus facile, toutes les surfeuses et plongeuses du monde vous le confirmeront : des combinaisons intégrales légères, ça existe déjà (pour homme aussi d’ailleurs) ; rajoutez un paréo autour de la taille et vous reproduisez les effets du burkini sans porter de burkini. Bref, ça va vite devenir totalement ingérable et ce, sans même compter les plaisantins — j’attends avec gourmandise celui ou celle qui viendra vérifier si un déguisement de Batman constitue une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité.

Le deuxième aspect intéressant de cette affaire, c’est la prodigieuse publicité qu’ont assuré ces arrêtés maralpins à l’objet même qu’ils entendaient faire disparaitre. C’est une variante de l’effet Streisand : avec ce battage médiatique inespéré, les ventes de burkini ont explosé. C’est simplement un effet publicitaire : au début de l’été, la plupart d’entre nous ignorions l’existence du burkini et à l’heure où j’écris ces lignes, il faut vraiment vivre dans une grotte pour ne pas savoir que ça existe.

De là, deux effets : le premier est un classique de la psychologie sociale ; on appelle ça de la réactance. Concrètement, vous pouvez parier une seconde chemise et un autre caleçon que le nombre de musulmanes arborant des burkinis ou des pseudo-burkini sur nos plages va exploser. De la même façon et pour les mêmes raisons que les sweatshirts « Manif pour Tous », cette interdiction jugée illégitime et liberticide va lancer la mode pour de bon.

Mais là où ça devient encore plus drôle, c’est que de nombreuses non-musulmanes, découvrant le burkini, y ont vu le vêtement de bain idéal qu’elles recherchaient depuis des années : elles vont pouvoir enfin profiter de la plage tout en se protégeant du soleil. Selon Madame Zanetti, il semble qu’une part substantielle de ces nouvelles clientes ne sont pas du tout musulmanes mais simplement des femmes à la peau fragile et notamment des survivantes du cancer.

Enfin, je conclue avec un dernier constat : ces arrêtés servent la propagande de Daesh. Tous les spécialistes de la jihadosphère vous le confirmeront : ça fait des années que les partisans de l’État Islamique martèlent l’idée selon laquelle il est impossible à un musulman d’être un bon musulman en France — raison pour laquelle il doit émigrer en terre d’Islam — et ces arrêtés n’ont fait qu’apporter de l’eau à leur moulin. « Regardez, disent-ils en substance, comment la France (croisée, ennemie de l’Islam) humilie cette musulmane. »

Ce que ça signifie, dans la pratique, c’est que si nous avions voulu créer une ambiance favorable au recrutement de djihadistes sur notre territoire, nous n’aurions pas fait autrement. Si l’idée était de relancer la mécanique infernale de la radicalisation et donc du terrorisme, c’est une immense réussite et la suite, je le crains, me donnera raison.

Bref, nous avons voulu faire disparaître les burkinis au prix de quelques libertés ; nous perdrons ces libertés, nous aurons plus de burkinis et nous récolterons quelques djihadistes supplémentaires en prime. La machine à perdre tourne à plein régime, qui sera capable de l'arrêter ?

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Moi, si j'étais le gars qui s'occupe de remplir les rayons de Decathlon, je serais déjà au téléphone avec mes fournisseurs. Je dis ça je dis rien.

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