Reprivatiser nos vies

Commençons par énoncer deux évidences. La première, c’est que l’homosexualité est un fait. C’est une constante de nos sociétés humaines depuis toujours, dans toutes les civilisations, qu’elle soit largement admise, tout juste tolérée ou franchement réprimée. Que cela vous plaise ou non, des milliers de nos concitoyens sont homosexuels et vivent en couple. Par ailleurs, nous savons vous et moi qu’un certain nombre de ces couples composés de deux individus du même sexe élèvent des enfants. Techniquement, ça ne présente pas beaucoup de difficultés : adoption (il suffit de se faire passer pour célibataire… un comble !), insémination artificielle ou fécondation in vitro (en Belgique), coparentalité (un bon copain ou une très bonne amie) ou, plus simplement, les enfants issus d’une première union hétérosexuelle. Bref, l’homoparentalité, comme l’existence de couples homosexuels, est une réalité qui s’impose à vous comme à moi.

Or voilà, la loi française refuse de reconnaître cet état de fait. J’insiste sur ce point ; c’est très important. Le mariage civil, celui qui est reconnu par la loi, est une invention extrêmement récente [1] qui n’est qu’une codification d’un mode d’organisation sociale dont les origines se perdent dans la nuit des temps ; le mariage est une conséquence logique de notre nature d’homo sapiens, de notre stratégie de reproduction, le mode d’organisation validé par quelques millions d’années d’expérience qui est le plus à même d’assurer la survie de notre espèce : il précède – et de très loin – toute forme de législation et il existe indépendamment des lois. Entre un couple hétérosexuel marié devant monsieur le maire et un autre couple hétérosexuel qui n’a pas jugé utile de faire cette démarche, la différence n’est que pure forme ; le premier est reconnu par la loi, pas le second et, jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas la loi qui fait la réalité des fait. Un couple homosexuel qui fait cause commune, se promet assistance mutuelle et – de surcroît – élève des enfants est donc marié de fait mais la loi refuse de reconnaître l’existence de cette famille [2].

Partant de là, il n’y a que trois attitudes possibles. La première, le status quo, consiste à penser – peu importe vos raisons – que le mariage homosexuel (et donc l’homoparentalité) est une mauvaise chose (pour la société, pour les enfants, pour vous-même… que sais-je ?) et donc à refuser de reconnaitre légalement de telles unions mais sans les interdire pour autant. C’est la politique de l’autruche, c’est non seulement hypocrite et la lâche mais c’est aussi nuisible puisque, par hypothèse, vous partez vous-mêmes du principe que le mariage homosexuel est nuisible. Ce qui nous amène naturellement à la deuxième attitude possible : si le mariage homosexuel est nocif, alors il faut l’interdire dans les faits. Il vous faudra alors faire de l’homosexualité et de l’homoparentalité des délits et constituer une police des mœurs chargée de pousser les portes de nos chambres à coucher, d’interroger nos enfants, voisins et amis et d’enquêter dans le détail sur nos mœurs. C’est une simple question de logique et de cohérence : vous n’avez d’autres choix que l’hypocrisie ou l’ordre moral.

En revanche, si comme moi vous constatez que le mariage homosexuel ne constitue en rien une atteinte à vos propres droits ; si vous estimez qu’après tout l’État n’a rien à faire dans nos vies privées et que le mariage devrait être un contrat comme un autre ; si vous n’avez aucune raison objective de penser que les homosexuels font de mauvais parents ; si vous pensez que l’ordre symbolique de la filiation [3] n’a absolument rien à craindre du mariage homosexuel et ce, d’autant plus que les parents homosexuels sont les premiers à vouloir le maintenir ; si vous croyez qu’il vaudra toujours mieux avoir deux papas ou deux mamans plutôt que de grandir dans un orphelinat ; si vous comprenez le drame de ces enfants qui perdent leur papa biologique et se voient, de surcroît, arrachés à l’affection de ce second papa qui n’est rien de moins que la seule famille qu’il leur reste ; si vous pensez qu’une société libre ne peut exister sans tolérance, que le fait qu’un mode de vie vous déplaise n’est pas un motif suffisant pour en réclamer l’interdiction ; si, enfin, vous croyez que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » et que « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits ».…

Alors comme moi vous demanderez à l’État de reconnaitre ces mariages et ces familles et nous aurons fait ensemble un premier pas sur la longue route qui nous reste à parcourir pour reprivatiser nos vies.

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[1] En France, il fêtera cette année son 220ème anniversaire (cf. loi du 20 septembre 1792).
[2] On ne rentrera pas ici dans le débat byzantin qui consiste à savoir si l’article 144 du Code civil spécifie oui ou non une interdiction du mariage homosexuel : dans les faits, deux personnes du même sexe ne peuvent pas se marier.
[3] Papa + maman = bébé.

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